Congrès Aprovalbois, la ressource forestière

Source:
Fordaq JT
Visites:
2235
  • text size

La troisième table ronde du 11e congrès national Aprovalbois (by Fibois Bourgogne-Franche-Comté), le 24 novembre 2017, portait sur le thème : La ressource forestière, sa mobilisation et son acceptabilité. Beau sujet et traditionnel exercice de style pour l'ONF justifiant son rôle face à la multifonctionnalité de la forêt, avec toujours quelques anecdotes sur le comportement buté des citoyens urbains. Ou alors, le sujet chaud de l'année dès lors que l'on se place au niveau européen, face à la remise en cause européenne du Plan National de la Forêt et du Bois et de ses objectifs de mobilisation. Eh bien, le congrès a choisi encore une fois une troisième voie.

Que vient faire dans ce débat Benoît Bisaillon, directeur général de la coopérative forestière des Hautes-Laurentides ? Quelqu'un dans la salle avait-il seulement déjà entendu parlé des Hautes-Laurentides ? En fait, Benoît Bisaillon était là à cause de relations tissées entre la coopérative et des homologues en Franche-Comté, depuis des années. Selon lui, ce genre de partenariat est bien plus fructueux que ce qui se trame au niveau national. De fait, une fois passé le moment incongru du repérage, Benoît Bisaillon a séduit par sa façon simple et directe d'expliquer des soucis certes un peu exotiques (sirop d'érable), mais aussi finalement proches de nous. Son mot d'ordre était que la politique de concertation avait intercalé entre les professionnels et le grand public des strates de médiation qui finalement compliquaient tout, qu'il valait mieux revenir au face-à-face direct entre l'industrie et le monde civil. On n'en est pas là en France, mais c'est toujours bon à noter. Parmi les autres remarques de bon sens, Benoît Bisaillon soulignait l'importance du ministre de la forêt, qui faisait malheureusement trop les frais de la politique avec des remaniements trop fréquents. L'industrie et les municiapiltés se sont découverts comme alliés pour porter des projet de réparation de routes, dépassant le clivage initial  et béant entre une économie forestière locale et un glissement de la propriété vers la villégiature. Plutôt que de jouer sur la fibre francophone, Benoît Bisaillon a exposé comment la rédaction d'un code de bonne conduite routière avait pu améliorer la relation entre les deux mondes. On écoutait aussi avec intérêt les développements sur les relations avec les tribus, leur dextérité et tout l'intérêt qu'il y a à les former à la conduite d'engins forestiers, à les promouvoir en acteurs de l'économie forestière plutôt que de leur verser des subsides. En matière de forêt aussi, le Québec reste le fantasme de la France, avec ses étendues infinies, ses grumiers de 60 tonnes, son économie forestière puissante, son ministre de la forêt. Pour autant, le sympathique Benoît Bisaillon concède qu'il apprécie le jumelage avec la Franche-Comté. Espérons que la Franche-Comté est en mesure de présenter là-bas un Benoît Bisaillon franc-comtois et sympathique qui leur parlera avec un parfum exotique des planches pour le comté. 

L'intervention de Victoire Reneaume se situait dans le parfait prolongement de la table ronde n°2 sur la relève. Victoire Reneaume est issue du milieu des propriétaires forestiers, dirige l'agence de communication Ohwood. Elle est de 1989, donc génération Y. Présidente de l'Association Forêt Sphère, elle réunit à Paris dans un cadre festif des propriétaires forestiers de la génération montante, pas toujours au fait de leur statut, et afin de les sensibiliser à cette activité potentielle. Et elle a osé établir la règle que ces réunions sont réservées aux moins de 40 ans, sans doute un euphémisme diplomatique. Il faut sans doute être Y pour développer une telle idée. Il faut dire qu'elle éclot dans un monde particulièrement vieux, où, comme l'indique Victoire Reneaume, les acteurs de la gestion forestière, côté propriétaire, sont souvent des retraités parce qu'ils ont enfon le temps de s'y consacrer (ou parce que la forêt acquise est le fruit de leur travail dans un tout autre domaine). Mais l'exercice intellectuel qui consisterait à se demander ce que faire une Victoire Reneaume dans le monde de la première tranformation, de la seconde, de la construction bois, du meuble en bois, mérite l'attention car là-aussi la gérontocratie guette. Simplement, je ne peux pas poursuivre, je suis out, baby-boomer. On se dit que peut-être, la génération Y travaillera mieux en réseau, que l'individualisme buté des scieurs s'atténuera. Que les raboteurs se mettront à regarder sur Pinterest ce que le prescripteur et l'utilisateur final demande vraiment, et pas seulement ce que sa productivité permet d'imposer au marché. Et chez les constructeurs, peut-être qu'on verra émerger une offre coloc et pas seulement des colloques, des maisons recomposées pour familles recomposées (mais ça, c'est génération X). 

La dernière partie de la table ronde était cocasse, portant de fait non pas sur "une communication éducative de la forêt", titre officiel de l'intervention de la charismatique Mériem Fournier, directrice d'AgroParis Tech Nancy, mais plutôt sur la gestion de l'impact du livre de Peter (prononcé à l'anglaise) Wohlleben, qui prend tout le monde en porte-à-faux. On n'a cependant pas pris soin d'analyser le travail de Wohlleben, on décrète simplement qu'il n'est pas scientifiquement correct, ce qui est un jugement à l'emporte-pièce pas vraiment digne de ceux que la société institue en sachants. Le livre de Wohlleben n'est pas un tissu de mensonges. Il comporte une première partie anthropomorphique ambiguë et douteuse, mais la majeure partie de l'ouvrage, c'est de la botanique magnifiquement vulgarisée, jusqu'à preuve du contraire. D'ailleurs, le jugement de Mériem Fournier était assez différencié, expliquant l'ambiguité de la notion de sensibilité par exemple. On se rend compte une fois de plus que l'ouvrage best-seller est une opportunité autant qu'un risque. Mais entre oportunité et risque, le vrai risque est de rester immobile comme un chien de Pavlov. Alors que justement il faudrait surfer sur le bon côté du livre, sur la vulgarisation de la botanique, sur ces histoires passionnantes. Et cela rejoint en fait le propos de Mériem Fournier qui veut lancer précisément une communication éducative de la forêt. Pour le reste, Mériem Fournier pense qu'il ne faut pas se gêner pour surfer sur l'ésotérisme, où sur le modèle japonais du yoga en forêt, d'autant que ce n'est pas complètement farfelu, que la forêt fait effectivement du bien de multiples manières. Si les gens sont prêts à payer... Mériem Fournier a un seul défaut, elle n'est pas Y, mais pour le reste, il faudrait lui confier cette mission d'aller au bout de sa réflexion sur une communication éducative, on pourrait lui adjoindre par exemple Victoire Reneaume pour l'équilibre générationnel. En ajoutant pourquoi pas par Frédéric Kowalski pour la parité. Le directeur territorial ONF Bourgogne-Franche-Comté détaillait lors de la table ronde le regard porté sur la forêt par les Français, via les médias. Par exemple, on parle surtout des forêts quand elles brûlent. Pas étonnant qu'on n'a pas envie alors de voir les arbres coupés.

Si je peux me permettre, moi le baby-boomer formé à la lecture par des manuels en écriture Didot, on ne nous parlait que de la forêt, des lapins, des chasseurs dans ces manuels-là. Ou du moins, c'est ce que j'ai retenu. Et c'était déjà alors un monde plus ou moins révolu, en plein trente glorieuses, quand on plantait du douglas à tout va pour faire face à la déprise agricole. La forêt aujourd'hui a forcément une dimension féérique, onirique, c'est pour ça qu'on ne supporte pas les abatteuses. Il va falloir poétiser l'abatteuse, y compris pour trouver des conducteurs car 2000 euros net à 35 heures ça ne suffit apparemment plus même en zone ultra-rurale. L'approche des pros de la forêt qui veulent éduquer et déssiller les urbains n'est qu'un volet de la chose. en fait, la campagne "Pour moi, c'est le bois" fait un premier pas avec le bûcheron idéalisé, le fabricant de palettes content d'utiliser du bois. Cela change des suicides à l'ONF, de la pollution des nappes phréatiques par les exploitants qui traitent le bois en forêt etc. 

Est-ce que le PNFB, Programme National de la Forêt et du Bois, 2016-2026, comporte un volet communication éducative ? Dans ce cas, le congrès Aprovalbois a fait le travail préparatoire, on serait bien avisé d'instituer la table ronde n°3 comme noyau d'une cellule de travail dûment soutenue par la filière.

 

Légende de l'image 1: de gauche à droite, Philippe Leclerc, animateur de la table ronde ; Benoît Bisaillon, directeur général de la coopérative forestière des Hautes-Laurentides ; Victoire Reneaume, présidente de l'Association Forêt Sphère ; Mériem Fournier, directrice AgroParis Tech Nancy ; Frédéric Kowalski, directeur territorial ONF Bourgogne-Franche-Comté. 

Crédits : image 1 JT, autres images Pascal Charoy

Postez un commentaire